La folle migration de l’anguille

Vous la reconnaissez surement par son aspect visqueux et serpentiforme… c’est bien l’anguille européenne qui est mise à l’honneur ce mois-ci. Et pour cause ! Elle entame en ce moment sa longue migration à travers mers et océans. Mais même si cette espèce de poisson est connue du grand public, elle cache pourtant de nombreux secrets. L’anguille européenne compte parmi les plus grands migrateurs du monde animal.

Découvrez donc le périple de cette espèce anguille ainsi que tous les mystères qui l’entoure.

Le grand voyage à travers le monde

En automne, l’anguille débute sa grande migration depuis nos rivières vers l’océan Atlantique. Les pluies automnales et les nuits plus longues semblent être des éléments déclencheurs de ce départ.

Après avoir passé plusieurs années en rivières pour grandir, elle entame donc son voyage par la dévalaison des cours d’eau d’Europe pour rejoindre la mer ou directement l’océan Atlantique. Elle continue ensuite sa migration vers la mer des Sargasses à 6000 km de nos côtes françaises. Cette mer située dans le nord de l’océan Atlantique, proche des côtes d’Amérique du Nord, est le seul lieu connu à ce jour pour être la potentielle zone de reproduction des anguilles européennes.

En fait, c’est dans cette région que les plus petites larves ont été capturées pour l’instant. Car oui, l’anguille migre entre 3 mois et 1 an, pour, au printemps, pouvoir se reproduire ! Sa descendance, appelée larve leptocéphale va être, quant à elle, portée par des courants chauds pour traverser de nouveau l’Atlantique et rejoindre les côtes européennes au bout d’1 à 2 ans. Elle arrive sur nos côtes métamorphoser en « civelle », une petite anguille transparente. Puis, lorsque la température est favorable (autour de 12°C), cette civelle se pigmente et devient une aiguillette, qui nage activement vers l’amont des cours d’eau, où elle grandira en une anguille jaune pour une vie plus sédentaire. Ce n’est qu’après une 15aine d’années de vie sédentaire dans les cours d’eau qu’elle va se métamorphoser une dernière fois en anguille argentée.

Cycle biologique de l’anguille

Mais de nombreux mystères persistent… Quel est l’itinéraire exact de leur migration ? La ponte a-t-elle vraiment lieu dans la mer des Sargasses ? Est-ce vraiment l’unique lieu de reproduction de l’espèce ? Quels sont les facteurs déclencheurs de cette migration ? Que se passe-t-il ensuite pour les anguilles, une fois la reproduction faite ?
De nombreuses études se sont penchées sur ces différents sujets. Certains ont pu être éclaircis tandis que d’autres ne sont encore que des hypothèses.

Une ultime métamorphose

Tout d’abord, le passage d’une eau douce à une eau salée ne s’effectue pas sans quelques changements.
Ces changements se déroulent lors de l’« argenture », la métamorphose de l’anguille jaune en anguille argentée. Cette métamorphose implique des transformations morphologiques et physiologiques pour préparer les anguilles à se reproduire en eau salée.

Tout d’abord, son dos (la « livrée ») évolue en un brun sombre et son abdomen passe du jaune à une couleur blanche argentée afin de se confondre plus facilement dans son environnement et de limiter sa prédation. Ses yeux vont doubler de volume pour s’adapter à la vie marine obscure, sa peau va s’épaissir et ses nageoires vont s’allonger. Sa ligne latérale devient également plus marquée, dû a une augmentation de cellules sensorielles, particulière développer chez les poissons se déplaçant en banc.

C’est également tout son système digestif qui va être transformé : son tube digestif va s’atrophier, il lui est désormais impossible de s’alimenter et va effectuer la migration uniquement en puisant dans leur réserves accumulées au stade « jaune ».

A ce stade, l’anguille argentée n’est pas sexuellement mature et leurs gonade ne sont qu’en cours de développement. Ce n’est que durant sa migration océanique que les gonades murissent. Cela serait induit par la pression due à la profondeur.

Argenture de l’anguille jaune

Dans les profondeurs de l’Atlantique

Dans le cadre de recherches faites en 2016, des scientifiques ont découvert que toutes les anguilles européennes, qu’elles viennent de la Mer Baltique, de la Méditerranée, du golfe de Gascogne ou de l’Atlantique, convergent mystérieusement vers les Açores. Aucune anguille marquée n’a d’ailleurs été observée au-delà de cet archipel, bien qu’il se situe à plus de 1 000 km au sud-ouest de la mer des Sargasses, site supposé de reproduction. Pourtant, leur itinéraire intrigue. Plutôt que de choisir la route la plus courte, elles font escale aux Açores, comme si cet archipel était une étape essentielle de leur migration.

Voix de migration des anguilles argentées

Chaque jour, ces migratrices plongent jusqu’à 1000 m de profondeur en journée, puis remontent la nuit vers les couches supérieures. Ce mouvement vertical pourrait leur permettre de suivre la dorsale médio-atlantique et ses reliefs sous-marins, tout en évitant les prédateurs et en favorisant la maturation de leurs gonades. Ces déplacements en profondeur augmentent considérablement la distance à parcourir lors de la migration. Cette recherche d’orientation ainsi que leur odorat très développé leur offriraient aussi la capacité de repérer de subtiles variations chimiques de l’eau, dues à l’activité volcanique et aux courants profonds, autant de repères invisibles à l’œil humain.

Selon une autre hypothèse, les Açores ne seraient pas une simple halte mais un véritable point de convergence où les anguilles se suivent sur la dorsale médio-atlantique. De là, elles suivraient cette « autoroute » naturelle, jusqu’à un front thermique situé à environ 1 000 km à l’est de la mer des Sargasses. Cette zone offrirait les conditions parfaites (température autour de 17 °C et forte pression) pour la reproduction, qui se déroulerait à quelque 700 mètres de profondeur. Chaque femelle y libérerait alors plus d’un million d’ovocytes, futurs larves leptocéphales, bouclant ainsi un cycle de vie aussi spectaculaire que mystérieux.

Le mystère ne s’arrête pas là

Toutes les phases naturelles de la vie de l’anguille qui suivent l’« argenture » nous sont encore inconnues ou peu claires. Après leur reproduction, des expériences montrent que les anguilles meurent peu de temps après, leurs réserves énergétiques étant épuisées. Cependant, rien n’a été prouvé qu’elles finissent leur vie dans la mer des Sargasses. Nous ignorons également les facteurs (internes ou environnementaux) qui déclenchent cette ultime métamorphose ainsi que les modalités et la chronologie de la maturation sexuelle.

Les éléments évoqués plus tôt comme le lieu précis de ponte, le temps de migration, la profondeur à laquelle elles se reproduisent, l’itinéraire transatlantique qu’elles effectuent, demeurent eux-aussi incertains. A ce jour, ces mystères restent à élucider grâce à l’organisation de nouvelles campagnes océanographiques.